(de janvier à décembre)
Tragédie humaine
et
grandiloquence républicaine
Le 7 janvier 2015, 10 membres de l'équipe de Charlie Hebdo ont été assassinés dans les locaux de leur journal. Ceux-ci étaient très sérieusement menacés depuis la publication de caricatures religieuses, menaces amplifiées par les interventions militaires extérieures de la France. Il est sans doute très difficile d'assurer, lors de tous leurs déplacements, la sécurité de personnes menacées. Mais parvenir à les assassiner toutes au même endroit et au même moment à l'intérieur de l'immeuble où elles travaillent interroge longuement sur l'organisation même de leur protection.
A ces meurtres sont venus s'ajouter les assassinats de policiers ou de clients d'un magasin casher.
En réaction, une "marche républicaine" a été organisée par le pouvoir politique dans un élan d'unité nationale. Des chefs de gouvernements étrangers ont participé à cette "marche républicaine" dont ceux du royaune d'Espagne et du Royaume-Uni. François Hollande participerait-il à une "marche monarchique" à Madrid ou à Londres ? Et la participation par exemple de l'ambassadeur de la République d'Egypte dirigée par un militaire répressif qui a renversé un président régulièrement élu par le peuple égyptien pourrait faire sourire si en toile de fond n'était une tragédie humaine aussi bien au Caire qu'à Paris.
Les valeurs humaines ne sont pas attachées à une forme particulière de régime politique. Il vaut mieux jouir des valeurs monarchiques britanniques, belges, danoises, néerlandaises ou espagnoles que des valeurs républicaines de Corée du Nord, de Chine, d'Egypte ou de Cuba. En ce sens, il aurait mieux valu évoquer des "valeurs de l'Union" européenne.
Quant aux valeurs républicaines françaises, elles mériteraient d'être précisées tant les cinq républiques françaises ont elles aussi succombé à des errements condamnables que ce soit sur le territoire national ou dans les colonies qui ont pu apprécier chacune à leur manière les valeurs des trois dernières républiques françaises. Si dans de nombreuses colonies les indigènes ont pris les armes pour mettre les Français dehors, c'est sans doute que leurs valeurs "républicaines" n'étaient pas si tolérantes, égalitaires et fraternelles que cela.
Et qui croira que le fait de marcher pourrait faire reculer la détermination des assassins potentiels ou résoudre les problèmes liés au fanatisme religieux. Mais dans la démocratie représentative française, la marche est un des rares moyens d'expression collectifs que les élus laissent aux citoyens dans l'intervalle entre deux élections nationales, à défaut de référendums d'initiative populaire. La marche est un hochet de la démocratie représentative. On comprend alors que les élus ne perdent pas une occasion d'en faire la promotion.
Ainsi, les élus ont bien organisé et bien joué la pièce de théâtre susceptible de les faire progresser dans les sondages, registre dans lequel ils excellent, beaucoup plus que dans celui de la maitrise des dépenses publiques, de la lutte contre le chômage ou contre l'atonie de la croissance économique. Après force déclarations solennelles et grandiloquentes, ils ont invité le peuple à marcher derrière eux. A eux l'organisation, le premier rang, les photos, les déclarations et au peuple de constituer le décor le plus imposant possible les mettant en valeur.
L'ampleur de la manifestation non spontanée du 11 janvier est soulignée avec emphase. 3,7 millions de personnes auraient participé en France à la marche dite républicaine. Mais plus de 60 millions sont restées à la maison. Qui croira sérieusement qu'elles aussi ne condamnent pas les horribles assassinats des 7, 8 et 9 janvier ?
Déjà, les manifestations complètement spontanées de 1998 simplement parce que le ballon était tombé dans les bons filets avaient déplacé 1,5 millions de personnes. Ceci relativise les chiffres de 2015 issus d'une sorte d'embrigadement politique et médiatique (plus les minutes de silence imposées, les Marseillaise guerrières et peu spontanées et les affiches "je suis Charlie" à exhiber ostensiblement comme un "petit livre rouge").
De plus, reprocher à la "diversité sociale" de ne pas avoir été très visible lors de la marche républicaine invite à rappeler que les Français lui reprochent en général d'être trop visible. Quand ladite "diversité sociale" lit dans les sondages (Fondapol.org, D. Reynié, nov. 2014, p. 20 et 35) que déjà en 2014, 51% des personnes interrogées trouvent qu'il y a trop de Maghrébins et de musulmans en France cela doit plutôt l'inviter à se replier sur elle-même. Certes, les sympathisants du Front national seraient 99% à penser que les musulmans sont trop nombreux en France, mais 34% des sympathisants du Parti socialiste le penseraient aussi et 68% des sympathisants de l'UMP. Or c'est principalement avec ces deux derniers que la "diversité sociale" était invitée à marcher.
Et chacun comprendra que les femmes portant un beau foulard sur leurs cheveux n'aient pas eu envie de se joindre à une marche républicaine alors que la république les exclut des classes, des crèches et de l'accompagnement des sorties scolaires. Personne ne devrait en outre leur faire l'injure de penser qu'elles aussi ne condamnent pas les lâches assassinats des jours précédents. Elles n'ont pas plus à le préciser que les 60 millions de citoyens qui sont restés chez eux.
On peut en dire autant de tous les hommes à l'élégance majestueuse portant de superbes djellabas ou gandouras…
Quand les élus avec leur "liturgie républicaine" veulent faire "prier" tout le monde au même moment, ce n'est manifestement pas très "Charlie". Les caricaturistes n'aimaient pas du tout se mettre au garde-à-vous sur ordre des hautes autorités politiques et morales autoproclamées.
Les refus constatés de minute de silence auraient sans doute été plus à leur goût que les embrigadements par l'autorité scolaire ou politique. L'irrévérence s'accomode en général assez mal avec les mouvements de foule organisés par le pouvoir politique imposant sa gestuelle. Baisser la tête sur ordre des élus, comme à la messe sur ordre des prêtres, invite toujours à s'interroger sur le réel dessein des donneurs d'ordre.
Maintenant que faire ? D'abord solder le conflit algérien qui a été le terreau de la Ve république. Cela passe par un acte de reconnaissance solennel et plein de remords adressé à l'Algérie pour 130 ans de maltraitance coloniale souvent déniée allant des enfumades de tribus dans des grottes lors de la conquête aux "corvées de bois" de la pacification en passant par l'atteinte aux libertés des indigènes, le refus de leur accorder l'égalité et l'absence de fraternité à leur égard. Le texte ne doit pas oublier non plus les harkis trahis et méprisés.
Ensuite, il convient de laisser les femmes de culture musulmane choisir librement leurs habits sans prétexter une conception intolérante et mesquine de la laîcité pour les brimer. Les élus ont-ils enfin compris que le danger n'est pas le joli foulard des employées des crèches mais les armes de guerre de jeunes délinquants à la dérive ? Et comment des jeunes femmes stigmatisées au lycée, au travail et dans le bénévolat de l'accompagnement scolaire peuvent-elles ensuite enseigner à leurs enfants la "grandeur" des valeurs "républicaines" ? Et comment les enfants ayant douloureusement ressenti l'humiliation de leur mère se positionneront-ils vis-à-vis de la république qu'on leur demande avec insistance de vénérer ?
Enfin le système éducatif (écoles, foyers et aide à l'enfance) doit faire un gros effort pour mettre tous les enfants sur les rails de la réussite sociale en accordant une attention particulière à ceux qui subissent une situation difficile et au final handicapante.
Le Président et sa bombe : une
dangereuse langue de bois
Lors d'un déplacement auprès des forces aériennes stratégiques à Istres le 19 février 2015, le Président de la république a disserté sur la politique de dissuasion nucléaire de la France.
Ce discours élaboré par des agents de la technostructure de l'Etat issus du même moule des grandes écoles civiles et militaires a été prononcé dans l'entre-soi devant des militaires supposés intellectuellement au garde-à-vous par un président qui trouve sans doute beaucoup plus confortable de se situer dans "cette chaîne qui ne peut pas être interrompue dans l'adaptation de nos forces pour la dissusaion". En conséquence, le Président va répéter tous les poncifs sur la dissuasion nucléaire.
Ainsi, la force de dissuasion assurerait "la survie et… la souveraineté de la France" reprenant ainsi le cliché de la soi-disant "assurance-vie". Le but serait de protéger les intérêts vitaux de la France dont le coeur serait l'intégrité du territoire et "la sauvegarde de notre population". Chacun remarquera que pendant que la France faisait faire des ronds dans l'eau à son sous-marin nucléaire pour protéger ses citoyens d'un péril inconnu, elle n'a pas su protéger la rédaction d'un journal d'un péril bien connu.
Et la définition des intérêts vitaux s'étendrait à "une agression qui mettrait en cause la survie de l'Europe". Cependant, la menace nucléaire française ne s'adresserait pas à des Etats non dotés de l'arme nucléaire à condition qu'ils soient parties au Traité de non prolifération et qu'ils respectent "leurs obligations internationales de non prolifération des armes de destruction massive". Ainsi, au sens strict, les menaces du Président s'adressent aux 8 Etats dotés de l'arme nuclaire. Les alliés de l'OTAN (Grande-Bretagne et USA) sont naturellement exclus du champ des menaces. Sur les 6 autres, Israel et la Corée du Nord semblent très peu concernés. Sur les quatre restants, le Pakistan, l'Inde et la Chine semblent plus préoccupés par la délimitation de leurs frontières communes que de chercher querelle à la France, lointaine et nain géographique autant que démographique. Reste alors implicitement la Russie, comme si la génération de la guerre froide ne parvenait pas à changer ses schémas mentaux sur la diabolisation de la Russie.
La menace française est elle crédible ? "Nos forces nucléaires doivent être capables d'infliger des dommages absolument inacceptables pour l'adversaire sur ses centres de pouvoir, c'est-à-dire, sur ses centres névralgiques, politiques, économiques et militaires". Chacun remarquera avec effarement que cela n'exclut pas une stratégie anti-cités au final dirigée contre des civils. Et la notion de dommages "inacceptables" n'est sans doute pas la même dans l'esprit de l'élite belliciste qui décide et dans celui du peuple entraîné malgré lui dans la guerre par la folie de ses dirigeants.
Les moyens reposent sur une composante aéroportée et une composante océanique. La première dispose d'un seul porte-avions disponible environ 6 mois par an et la seconde de sous-marins supposés invulnérables et indétectables pour les besoins de la doctrine, autrement la dissuasion nucléaire devrait s'appeler la "gesticulation nucléaire". Et "que serait une dissuasion par intermittence ? " demande naïvement le Président. Pourtant les crises internationales arrivent rarement par surprise. Il suffit d'être dissuasif au moment opportun en période de tension et non pas en période ordinaire de calme. Il est clair que malgré sa permanence affirmée, la dissuation française n'a jamais dissuadé quiconque puisque le problème d'un conflit avec une puissance nucléaire ne s'est jamais posé. Dans le même ordre d'idée, le Président affirme au début de son discours que "l'Armée de l'air démontre tous les jours, sa capacité à assurer la protection du territoire national contre d'éventuelles attaques venues du ciel". Il s'agit sans doute d'une boutade hollandaise pour flatter ses hôtes car l'armée de l'air n'a rien démontré si ce n'est qu'en certains endroits du territoire elle gâche la vie des citoyens contribuables par le survol bruyant et coûteux de ses avions alors que la façade maritime de la France laisse de larges opportunités d'entraînement au-dessus des océans.
Curieusement, les thèses du Président semblent reçues comme une vérité théologique devant laquelle il faudrait baisser la tête pour se recueillir. D'une manière générale, ses thèses ont été peu questionnées par les médias et les scénarios de crise envisageables peu explicités. Les citoyens devraient sérieusement se préoccuper de savoir si la dissuasion nucléaire ne relève pas seulement de la fable, aussi coûteuse pour les Français que dangereuse pour toute l'humanité.
Le Président souligne en outre que les moyens diplomatiques de la France "restent pleinement mobilisés en faveur du désarmement". Mais ce discours est très peu audible ce qui d'une manière générale rend plus difficile de convaincre certains Etats de l'utilité de la non prolifération. Comment convaincre l'Iran que le nucléaire militaire c'est mal alors que 9 Etats se vautrent déjà avec délectation dans ce mal et ne semblent pas trop pressés d'y mettre fin pour ce qui les concerne ? Le Président donne même des arguments à l'Iran en précisant que la dissuasion "c'est ce qui nous permet d'être libres" et en plus elle "stimule nos efforts de recherche et de développement et contribue à l'excellence et à la compétitivité de notre industrie".
Au final, ce discours peu convaincant et d'une grande indigence au niveau des arguments ne peut qu'inquiéter les citoyens qui en toute impuissance voient leur auteur, chef des armées, disposer seul de la force de frappe dans le flou juridique de l'article 35 de la constitution de 1958 où une "opération extérieure" ne serait pas considérée comme une guerre de la France nécessitant une décision du parlement.
Le désarmement nucléaire généralisé est donc un impératif urgent face à de telles perspectives.
Le spectacle affligeant
des
élections départementales
Le 22 et 29 mars 2015 ont eu lieu les élections départementales après une longue indécision sur l'éventuelle suppression des départements.
L'idée d'allèger le "millefeuille" territorial est ancienne et récurrente. Le président Sarkozy avait tenté l'aventure en se repliant au final, devant les résistances des élus, sur un système d'élection commune aux départements et aux régions, les mêmes conseillers territoriaux devant sièger dans l'assemblée départementale et dans l'assemblée régionale (loi du 16 décembre 2010). Cela permettait déjà de réduire le nombre de conseillers généraux et régionaux de 5922 à 3493. Et la stratégie ne paraissait pas si mauvaise car si les élus siègent dans les deux assemblées, la suppression à terme de l'assemblée à l'échelon inférieur ne devrait alors plus poser de problèmes aux élus qui non seulement conserveraient leurs avantages dans l'assemblée restante, et de surcroit n'auraient plus à faire des kilomètres pour se déplacer de l'une à l'autre.
Ce nouveau système n'a pas eu le temps de s'appliquer car la nouvelle majorité élue en 2012 a conservé les conseils généraux et les baptisant "conseils départementaux" (loi du 17 mai 2013) tout en modifiant les cantons pour permettre l'élection de binômes (un homme et une femme) par canton. Si élus et médias ont lourdement insisté sur la diminution par deux du nombre de cantons (4035 à 2054), ils ont en revanche peu souligné l'augmentation du nombre d'élus (4035 à 4108).
Très curieusement, à peine cette loi votée, le nouveau premier ministre Manuel Valls a annoncé dans sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale du 8 avril 2014 sa volonté de supprimer les nouveaux conseils départementaux à l'horizon 2021, ce qui revient implicitement à enfin supprimer les départements. Mais face à la grogne des prébendiers (et non des citoyens en général), le même premier ministre s'est engagé en octobre 2014 à conserver au moins la moitié des départements ruraux.
C'est sur cette gestion chaotique du dossier départemental qu'ont eu lieu en mars 2015 les élections des nouveaux conseillers départementaux, sans savoir quelles seront exactement leurs compétences (loi en discussion au Parlement à cette date) et en principe le temps d'un seul mandat pour de nombreux élus puisque leur suppression pour moitié a été annoncée à l'horizon 2021. Les partis politiques en compétition les uns avec les autres ont naturellement tous invités les électeurs à se déplacer en masse pour leur accorder leurs voix et les prébendes attachées aux délices de la fonction.
Chacun a alors pu assister au spectacle lassant des soirées électorales sur les chaînes de radio et de télévision. D'un côté, des politiques tout frétillants avides d'honneurs et de pouvoir et débitant la leçon bien apprise auprès de conseillers en communication tout en exhibant leur tableau de chasse aux électeurs. De l'autre, des journalistes plutôt flattés d'être les grands organisateurs de la soirée, avec la ritournelle de leurs commentaires convenus et parfois orientés par leurs sympathies politiques.
En fond du décor, les citoyens spectateurs ou auditeurs consternés par ce spectacle endémique des soirées électorales qui les désespèrent à chaque fois un peu plus.
Au final, si politiques et journalistes sont vivement intéressés par les élections, les citoyens sont de plus en plus nombreux à comprendre que la démocratie dite représentative n'est qu'une fable visant à dépouiller les citoyens de leur pouvoir politique pour le confier à de pseudo représentants qui eux-mêmes abandonneront une grande partie de leur pouvoir au profit de l'élite de leur parti. Alors, plus d'un électeur sur deux a préféré ne pas voter (environ 21 millions + environ 3 millions de non inscrits). C'est bien dans la lucidité de ces citoyens abstentionnistes que réside l'aspect réconfortant de ces élections.
Ainsi non seulement la représentation est une fable, mais en plus le système électoral est un miroir déformant de la réalité politique (le Front national a 54 élus avec 4 108 404 voix tandis que le Front de gauche a 76 élus avec seulement 266 896 voix).
Et de surcroît la parité homme/femme constitue une limitation du choix des électeurs les obligeant à voter pour des femmes. Faut-il rappeler que les femmes sont majoritaires dans le corps électoral et qu'elles ont toute liberté de voter pour des femmes. Mais elles n'usent pas de ce pouvoir. Cet abandon de pouvoir par les femmes se vérifie encore une fois dans l'élection des présidents des conseils départementaux par des assemblées où règne pourtant la parité homme/femme (seulement 9 femmes élues pour 91 hommes élus… avec les voix de femmes).
Ces élections départementales n'auraient jamais dû avoir lieu sans une décision des citoyens par voie référendaire sur l'existence même des départements.
Les citoyens doivent exiger la mise en place d'une procédure de référendum d'initiative populaire pour exercer leur droit de décision en matière politique et ne plus se contenter de la simple désignation de pseudo représentants qui les trahiront sitôt élus. Ce n'est pas aux élus de décider de l'avenir de leurs prébendes mais aux citoyens qui financent péniblement ces prébendes par leurs impôts.
L'agneau pascal :
fiction et violence
au service du pouvoir
Le 5 avril 2015 a été célébré la fête de Pâques commémorant la soi-disant résurrection de Jésus. Ce jour est traditionnellement l'occasion d'une hécatombe bien réelle pour une des plus belles créatures de la terre qui d'une part ne cherche jamais querelle à l'homme et d'autre part ne constitue aucunement une espèce déclarée "nuisible" par l'homme lui-même (pour le règne animal, l'homme est naturellement la plus nuisible des créatures…).
La tradition chrétienne invite à consommer ce jour un agneau jeune et tendre (en général le gigot rôti) regardé comme la figure du Christ, le soi-disant agneau de dieu qui ôte les péchés du monde selon la liturgie ânonnée depuis des siècles et des siècles. La tradition de cette immolation remonterait à la sortie d'Egypte des Hébreux qui "opprimés par Pharaon, marquèrent de son sang les poteaux et le linteau supérieur des portes de leurs maisons, et à ce signe l'ange de Jéhovah passa et épargna leurs premiers-nés, tandis qu'il extermina ceux des Egyptiens" (E. Mangenot). De son côté, la fête de l'Aid-el Kébir commémore annuellement le sacrifice tout aussi mythique d'Abraham là encore par l'égorgement massif et cruel d'ovins.
Naturellement, les consommateurs répugnent en général à exécuter eux-mêmes la noble et innocente créature. Ils préfèrent que le massacre s'effectue en cachette, et ensuite acheter des morceaux de cadavre anonyme sous cellophane ce qui évite de réveiller leur mauvaise conscience.
Mais chacun peut bien se demander qu'est-ce qui permet la survivance de ces pratiques primitives toutes basées sur des calembredaines religieuses du même tonneau. Cette hécatombe cruelle et peu glorieuse des ovins ne témoigne-t-elle pas de l'incapacité de l'humanité à sortir de l'An I de la civilisation ? Les religions monothéistes semblent en l'espèce un véritable fléau pour le règne animal. Et les fêtes sanglantes ne sont pas particulièrement à mettre au crédit de l'humanité.
Pourtant les pouvoirs politiques même dits "laïcs" semblent fort bien s'accommoder de cette sauvagerie car ils puiseraient dans sa dynamique des éléments de nature à les fortifier. .
Ils ont besoin d'abord de la fiction qui permet de manipuler des foules bien trop crédules. La fable de l'agneau, encore beaucoup plus impressionnante en latin (Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis…), permet au pouvoir de mélanger en permanence fiction et réalité et d'infantiliser les citoyens pour mieux les dominer. La fable de l'agneau de dieu prépare aussi les citoyens à recevoir sans critique, par exemple celle de la représentation soi-disant démocratique par des élus les privant de tout pouvoir politique décisionnel par voie référendaire. Le monde politique se nourrit d'une grande part d'irrationalité, autrement les citoyens risqueraient d'ouvrir les yeux sur la réalité de la confiscation de leur pouvoir de décision.
De plus, les pouvoirs civils ou religieux ont aussi besoin de la violence pour asseoir leur domination à l'intérieur comme à l'extérieur. La religion leur apporte une certaine légitimation de cette violence. En obligeant dès l'enfance à consommer le cadavre des animaux malgré la profonde répugnance toute naturelle des enfants à accepter le meurtre de leurs amis à plumes ou à quatre pattes, ils ébranlent durablement la confiance de chacun en son propre jugement.
Une fois que les hautes autorités religieuses et politiques auront fait admettre à l'enfant que les animaux cela se mange, il ne lui restera plus face à la confiance ébranlée en son propre jugement qu'à s'en remettre à une haute autorité qui sait pour lui ce qui est bien et ce qui est mal. Sa bienveillance naturelle envers les créatures de la terre ayant été discréditée, sa confiance se portera hélas beaucoup plus sur l'autorité belliqueuse qui l'a perverti que sur sa propre boussole intérieure plutôt encline à la paix.
Pourtant chacun sait bien au fond de lui-même que la paix dans le monde est inséparable de la paix avec les agneaux.
Triomphe de la démocratie directe
en Irlande
Le 23 mai 2015 les citoyens irlandais ont approuvé par référendum le mariage des homosexuels. Avec une abstention inférieure à 40%, environ 62% des votants se sont prononcés pour l'ouverture du mariage aux couples homosexuels (AFP 25/5/15).
Ce référendum a été organisé à l'initiative du gouvernement. De toute évidence, ce genre de sujet de société relève de la décision des peuples souverains que ce soit pour prohiber (Croatie 2013, initiative populaire contre l'avis du gouvernement, approuvée à 65,67% mais avec 73% d'abstention -Le Point.fr 2/12/13-) ou pour autoriser (Irlande 2015).
Dans tous les pays se réclamant de la démocratie, la procédure du référendum devrait aussi pouvoir être activée à l'initiative des citoyens, selon le modèle pratiqué en Suisse. Cependant, la participation des citoyens au vote devrait être obligatoire en matière référendaire. L'obligation de participer aux grandes décisions nationales, y compris par un bulletin blanc en cas d'indécision persistante, est une nécessité pour que chacun assume ses responsabilités de citoyen libre. Mais cette obligation paraît peu défendable en matière d'élection où les électeurs doivent seulement désigner ceux qui vont décider à leur place sans savoir à l'avance ce que ceux-ci vont décider et sans disposer des moyens d'annuler souverainement leurs décisions en cas de contrariété manifeste à la volonté populaire. Cette obligation de vote constituerait une double humiliation pour les citoyens : non seulement ils sont dépossédés de leur pouvoir souverain mais en plus ils auraient l'obligation de participer au processus de cette dépossession.
La décision des citoyens par voie référendaire à l'initiative des gouvernants est certes un premier pas vers la démocratie. Mais tant que les citoyens n'en n'ont pas eux aussi l'initiative que ce soit en matière constitutionnelle ou législative, la représentation peut aussi être perçue comme une fable destinée à siphonner le pouvoir de décision du peuple souverain au profit d'une minorité dominante toujours habile à justifier cette spoliation par des discours fallacieux.
Humanité sanguinaire
Le 22 juin 2015 s'est déroulé dans le sud de la Chine le festival de Yulin à l'occasion duquel il est de tradition de manger de la viande de chiens et de chats. Ils sont des milliers à être massacrés dans des conditions atroces, "torturés à mort, dépecés vivants, plongés vifs dans des marmites d'eau ou d'huile bouillantes " (Natacha Harry, SPA).
L'émotion légitime des défenseurs des animaux s'appuie naturellement sur les conditions d'abattage des animaux privés d'étourdissement préalable à la mise à mort et sur les espèces concernées par ce carnage.
Certes, l'exclusion de certaines espèces de la consommation humaine relève de la culture propre à chaque groupe humain.
Si en France aucun texte ne semble interdire explicitement la consommation de viande de chien et de chat, la possibilité de leur mise à mort hors d'un abattoir n'est pas mentionnée par le code rural (art. R 231-6) tandis que les abattoirs ne peuvent les accepter en l'absence de normes sanitaires précises concernant ces espèces.
De plus, leur mention explicite dans les articles du code rural concernant les animaux de compagnie (art.L 214-6 s.) conduit à ce que la mise à mort des chiens et des chats relève implicitement de l'article 521-1 du code pénal punissant les sévices infligés aux animaux.
Mais aujourd'hui rien n'indique que la mention explicite, par exemple des équidés envers lesquels l'humanité a une lourde dette, dans la section du code rural concernant les animaux de compagnie suffirait à éloigner ceux-ci de l'abattoir.
La violence envers les animaux légitimée par maintes contorsions intellectuelles de l'homme (la culture) est le terreau de la violence entre les hommes alors que tout naturellement l'enfant éprouve d'emblée bienveillance et compassion (la nature) pour les animaux jusqu'à ce que la société le pervertisse durablement.
Des esprits mal inspirés souligneront que les animaux se mangent bien entre eux. Pas tous. Notamment les animaux que l'homme massacre en grand nombre et mange pour entretenir son obésité (les vaches, les moutons, les chèvres, les chevaux, les ânes, les lapins…) non seulement ne mangent personne mais en plus témoignent souvent de bienveillance à l'égard de l'espèce humaine.
A chacun ses modèles. Mais de toute évidence, les modèles qui tirent vers le haut (non violence et respect des créatures) sont toujours mieux que les modèles qui tirent vers le bas (comportement sanguinaire et mépris du vivant).
De la corrida au gavage des oies en passant par la chasse à courre et les abattages rituels, elle est encore longue la route qui mènera l'être humain vers l'humble respect du vivant.
Au XXIe siècle, l'éthique végétarienne semble la voie raisonnable vers ce progrès indispensable de l'humanité. Elle lui procurera non seulement la paix par rejet de la violence envers toutes les créatures mais en plus et enfin la dignité.
La mascarade du référendum grec
Le 5 juillet 2015, le premier ministre grec a soumis à référendum la question suivante : " Faut-il accepter le plan d'accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l'Eurogroupe du 25 juin 2015 ? "
La question est assortie d'un livret explicatif de plus d'une dizaine de pages et d'une invitation à voter non.
Le texte soumis à référendum correspond en fait à un document de travail servant de base aux négociations pour un troisième plan d'aide à la Grèce, celle-ci étant dans l'impossibilité de faire face aux échéances des remboursements liés aux deux premiers plans. Logiquement, la consultation du peuple grec aurait dû porter sur un texte issu de négociations abouties, signé par le premier ministre, le peuple souverain remplissant alors la compétence parlementaire en matière de ratification.
Et l'invitation à voter non correspond en réalité à réduire les garanties de remboursements accordées aux étrangers en échange de leur aide financière et à démontrer un large soutien au gouvernement grec en place ce qui en dernière analyse est tout à fait dans la logique des référendums plébiscites à visée internationale.
Les citoyens grecs ont accordé un large soutien à leur premier ministre en votant à 61,31% non (avec un taux d'abstention de 37,5%. Curieusement la presse française s'est en général peu penchée sur le problème du vote obligatoire en Grèce).
Mais malgré le refus des citoyens d'accepter les propositions du 25 juin 2015, le gouvernement grec semble finalement avoir accepté des conditions plus exigeantes lors des négociations postérieures au référendum. Le premier ministre grec s'est bien gardé cette fois de les faire approuver par le peuple, se contentant de l'accord du parlement.
En conséquence, la volonté populaire a été bafouée. Ce référendum ressemble plutôt à une manœuvre politique sous-tendue par une triple finalité.
D'une part, briser l'entre-soi bruxellois de la démocratie dite représentative, en l'espèce défavorable au gouvernement grec, ce qui a naturellement beaucoup contrarié les élus et la technostructure européenne habitués à décider dans le dos des peuples.
D'autre part, montrer en interne que le gouvernement grec ne s'était pas rendu sans avoir durement bataillé et appelé le peuple en renfort.
Enfin, contrer la minorité intransigeante du parti du premier ministre grec en démontrant un soutien populaire allant bien au-delà des frontières de sa propre formation. La manœuvre n'était en réalité pas maladroite car elle permettait de modeler une majorité future au parlement pour adopter les mesures imposées par les créanciers en échange d'un large soutien financier.
Au final, la décision démocratique du peuple grec n'a pas été respectée. L'option de la sortie de l'euro n'a pas été largement exposée et tranchée. Le peuple a été utilisé par le gouvernement dans une manœuvre politique visant à sortir ce dernier d'un mauvais pas tant au niveau intérieur qu'extérieur.
Pourtant le peuple n'est pas un simple instrument dans les mains des dirigeants mais un décideur dont les gouvernants ne sont que les subordonnés.
C'est la raison pour laquelle les peuples de l'Union européenne devraient tous disposer d'un droit d'initiative législative et constitutionnelle en matière référendaire et d'un droit de révocation de leurs élus. A défaut, ceux-ci risquent fort de se faire manipuler par leurs dirigeants selon les besoins de ces derniers.
La revanche du peuple grec pourrait bien se dessiner dans un avenir proche. N'ayant pas accepté démocratiquement la potion amère de l'austérité, il pourrait aussi ne pas honorer toutes ses dettes. D'ailleurs, de plus en plus d'observateurs reconnaissent que l'ampleur de la dette grecque n'est pas soutenable et qu'une renégociation de celle-ci paraît incontournable.
Cela passera sans doute par une réduction des taux d'intérêt, un allongement des délais de remboursement et un effacement d'une partie de la dette. Les contribuables français obnubilés par la laïcité seront-ils d'accord pour payer des impôts finançant les salaires du clergé grec orthodoxe goûtant sans vergogne aux délices de la fonction publique ?
Martyriser les porcs
ne
rapporte plus ?
En août 2015, le Marché du porc breton de Plérin servant de référence au cours du porc en France a été momentanément fermé. De nombreuses manifestations du monde agricole ont eu lieu pour dénoncer la faiblesse des cours qui ne permettrait plus aux éleveurs de couvrir leurs charges. La concurrence des éleveurs allemands et espagnols mettrait en difficulté les éleveurs français.
Malgré la quête effrénée de la baisse des coûts de production pour maximiser les profits qui au final a conduit à l'élevage industriel des porcs au détriment du bien-être animal et du respect élémentaire dû aux animaux, cette activité d'engraissement des cochons ne nourrrirait plus leurs éleveurs.
Les médias se sont régulièrement fait l'écho des conditions lamentables d'élevage des porcs, l'animal étant réifié pour n'être plus qu'un "minerai" exploité dans des usines bien closes à l'abri des regards. Les 23 millions environ de porcs abattus chaque année en France doivent peut-être vivre comme un soulagement l'ultime et terrible séquence de l'abattoir.
Pourtant, le vrai problème des animaux ce n'est pas l'élevage mais bien l'abattoir permettant à l'espèce humaine de consommer leurs cadavres. Ces derniers font l'objet d'un véritable vol avec violence par l'homme et non pas d'un don par les animaux. Et la seule dette du voleur est de restituer l'objet volé, c'est-à-dire la vie.
Très curieusement, au moment où les éleveurs manifestaient leur malaise, les associations de défense des animaux ne semblent pas avoir saisi l'occasion de rappeler l'horreur de l'élevage industriel comme si la souffrance économique des éleveurs les laissait soudain sans voix.
La concurrence des deux souffrances, celle des éleveurs et celle des animaux semble avoir tourné à l'avantage des éleveurs. Pourtant, que la terrible souffrance des porcs cesse et la souffrance des éleveurs cessera naturellement par la même occasion.
Si martyriser les porcs n'est plus rentable, c'est évidemment une bonne nouvelle pour les porcs. Il est peut-être temps pour les auteurs de cette souffrance qui soi-disant "aiment bien leurs bêtes" de penser à faire autre chose.
Certes, chacun devine bien l'engrenage professionnel, souvent familial, dans lequel se sont trouvés de nombreux éleveurs sans que le problème de la légitimité morale de l'élevage industriel ne soit sérieusement mis à l'ordre du jour de leur conscience. Mais ils se retrouvent vite happés par la dynamique de groupe de la "filière" porcine si bien que les protestations des défenseurs des animaux ne sont plus qu'un écho lointain.
Les associations de défense des animaux auraient pu utilement saisir l'occasion de rappeler aux consommateurs la terrible souffrance des porcs en élevage industriel et suggérer de façon positive des pistes de reconversion professionnelle.
L'éthique végétarienne est aussi une bonne piste pour mettre fin à la souffrance des porcs tout en repensant la relation de l'homme avec son environnement, notamment avec les mammifères autres que lui-même.
Les gesticulations
de la France en Syrie
Le 27 septembre 2015, la France a entrepris une série de bombardements aériens en Syrie sur décision du Président de la République.
Il est fort contestable du point de vue démocratique que le Président de la République puisse engager l'armée française à sa volonté dans des conflits lointains. Certes, même si selon les termes de l'article 35 de la constitution de 1958 l'engagement des forces françaises est réputé légal du point de vue constitutionnel (une simple information du parlement dans les 3 jours suffit pour un engagement inférieur à 4 mois et une autorisation parlementaire est nécessaire au-delà de 4 mois), il appartient au peuple français de décider où et quand l'armée française doit être engagée en son nom et avec ses impôts.
A défaut d'être performant dans la gestion du pays (chômage élevé, croissance économique atone, déficit budgétaire persistant, dépense publique excessive… et cote de popularité chétive) le président laisse l'impression de chercher à exister politiquement par le biais de la scène internationale. Faire la guerre dans un pays souverain qui n'a rien demandé pour tenter de se rendre intéressant au niveau national ne serait pas très glorieux.
En effet, cette agression s'effectue sans mandat de l'ONU et s'appuierait sur le droit de légitime défense prévu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies. Les menaces de groupes terroristes fréquentés par quelques citoyens français issus aussi de l'école républicaine inviteraient à bombarder les sites où ils sont supposés se trouver. Il s'agirait beaucoup plus d'une guerre préventive voire d'exécutions extra-judiciaires que de légitime défense, et en plus avec des moyens disproportionnés et inadéquats.
Curieusement, après chaque intervention extérieure, la France se garde bien d'en effectuer un bilan objectif tant sur le coût humain et financier que sur l'avantage retiré aussi bien pour la France que pour les Etats agressés. Un bilan objectif et indépendant sur les interventions en Afghanistan, en Libye, au Mali, en Centrafrique et en Irak risquerait d'être ravageur pour les décideurs politiques et militaires hélas irresponsables malgré les pertes en vies humaines tant dans les rangs de l'armée française que dans les populations civiles qui seraient victimes de simples "dommages collatéraux" pourtant dénoncés avec promptitude et indignation quand en Syrie ces dommages résultent de frappes aériennes russes.
Si dans un conflit bipolaire le choix de la partie à soutenir est assez simple, il n'en est pas de même dans un conflit multipolaire. Or le conflit syrien relève aujourd'hui d'un conflit multipolaire dont le chaos généralisé ne laisse pour l'instant entrevoir aucune solution viable et en conséquence rend difficile le choix des belligérants à soutenir. En août 2013, le président français s'apprêtait à frapper le régime syrien pour le "punir" d'avoir utilisé des armes chimiques comme si jouer au gendarme du monde pouvait le rehausser aux yeux des millions de chômeurs français. Aujourd'hui, il frappe les ennemis du régime syrien et en plus en coordination avec celui-ci pour que leurs avions militaires ne se télescopent pas dans un ciel bien encombré (par les Syriens, les Américains, les Turcs, les Russes, les Français, les Iraniens, les Israéliens…).
Et avec environ 220 raids aériens en Irak sur plus de 4600 et environ une dizaine de raids en Syrie sur plus de 2580, la France fait de la figuration, aussi coûteuse financièrement pour les contribuables français qu'inutile militairement. Et ses vaines gesticulations exposent au final le territoire national à de terribles représailles.
L'armée française n'a rien à faire en Irak et en Syrie. Il appartient aux Etats responsables du chaos local de tenter d'y remédier, principalement les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Arabie saoudite et l'Iran. En entrant dans la mêlée confuse d'un conflit qui la dépasse, la France ne peut que prendre des coups inutiles même si cela lui permet de flatter son complexe militaro-industriel toujours satisfait de pouvoir tester en grandeur nature ses nouveaux gadgets mortifères.
Réforme des institutions :
un rapport de plus
Le 2 octobre 2015, l'Assemblée nationale a rendu public le rapport n°3100 intitulé "Refaire la démocratie". Celui-ci émane d'un groupe de travail présidé conjointement par le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, et par un historien, Michel Winock. Ce groupe est composé de 23 personnalités dont 11 élus (10 députés et un sénateur) et 9 fonctionnaires de l'Etat (professeurs d'université ou conseiller d'Etat) correspondant à ce qu'il convient d'appeler aujourd'hui "l'élite". C'est un peu comme demander à des buralistes de proposer des mesures préventives pour lutter contre les conséquences dramatiques du tabagisme.
En effet, ce n'est pas l'élite qui souhaite "refaire la démocratie" mais le peuple souverain qui supporte de moins en moins la confiscation totale de son pouvoir et l'impéritie des gouvernants. Par le mythe de la représentation, l'élite a réussi à faire remonter le pouvoir du peuple souverain vers elle-même dont au final une poignée d'individus décident en dernier ressort pour la multitude suite à l'abandon de pouvoir de nombreux "représentants" au profit des dirigeants des partis politiques (absentéisme parlementaire chronique). L'élite souhaite naturellement que le système actuel qui ne lui est pas du tout défavorable en terme de pouvoir, de prébendes ou de maternage à vie dans le statut de la fonction publique perdure le plus longtemps possible. Elle est toutefois prête à un certain nombre d'aménagements du système institutionnel actuel pour laisser croire au peuple spolié de son pouvoir de décision par le système représentatif que ses aspirations sont prises en compte.
Ainsi sur 17 propositions, 5 méritent une attention particulière dans le cadre de cette analyse :
En ce qui concerne les élus, la remise en cause fréquente de l'existence même du Sénat est habilement contournée en proposant au final sa fusion avec le Conseil Economique, Social et Environnemental (Proposition 10) sous prétexte de "rénover le bicamérisme". Néanmoins, deux collèges distincts assureraient la pérennité de ces deux institutions aussi inutiles pour la démocratie que coûteuses pour les contribuables. Le Sénat perdrait toutefois son pouvoir de nuisance en matière de blocage des réformes constitutionnelles.
Parallèlement, le nombre de parlementaires passerait de 577 à 400 à l'Assemblée nationale et de 348 à 200 au Sénat (Proposition 9). Il y aurait donc 325 prébendiers de moins, mais encore 200 de trop au Sénat. Toutefois, cette réduction des effectifs se ferait à moyens constants (p.101) c'est-à-dire que les rescapés se partageraient les dépouilles des exclus comme si les parlementaires inclinaient à penser qu'ils sont beaucoup trop nombreux à se partager le gâteau.
Enfin les élus seraient dotés d'un véritable statut (Proposition 2) leur assurant un certain nombre de garanties permettant aussi de raffermir le rôle des partis politiques inquiets de la multiplication des sources d'information.
En ce qui concerne les citoyens, ceux-ci se verraient proposer les hochets de la démocratie dite participative à travers l'expérimentation du dépôt par internet "d'amendements citoyens" qui pourraient éventuellement être repris par des parlementaires ou le développement des "ateliers législatifs citoyens" qui ne sont que de simples réunions dans les circonscriptions en amont de l'adoption des textes (Proposition 14). De toute évidence, ajouter une fausse participation au processus de décision politique à une représentation fictive des citoyens par les élus ne fera pas avancer d'un pas la démocratie.
Enfin la Proposition 4 propose d'élargir le champ du référendum à toutes les matières de l'article 34 de la constitution de 1958 et d'instaurer un "véritable" référendum d'initiative populaire avec un quorum et un contrôle juridictionnel. Cette proposition est a priori la plus intéressante mais d'emblée elle préconise un verrouillage par une minorité parlementaire des initiatives citoyennes (p.72) comme si le pouvoir émanait des parlementaires et non pas du peuple souverain. D'emblée la procédure est viciée et comme dans le cadre de la réforme de la procédure référendaire de 2008 les citoyens sont traités avec condescendance et mépris par leurs soi-disant représentants.
L'Assemblée nationale aurait pu faire l'économie de ce rapport qui par l'inconsistance de ses propositions en terme de participation autonome des citoyens au processus de décision politique creuse encore plus le fossé entre le peuple et ceux censés le représenter et non pas le museler.
* Dans le cadre des auditions mises en place pour l'élaboration de ce rapport, lire le compte-rendu de l'intervention de Denis Giraux (p.361 à 366).
Violence et contre violence :
l'engrenage infernal
"Personne ne peut prétendre porter la mort chez nous sans la recevoir chez lui". Telle était le fondement de la philosophie gaullienne pour justifier la mise en place de la force de frappe nucléaire de la France. Cette force était naturellement dirigée contre l'Union soviétique et son arsenal nucléaire impressionnant. L'assertion pouvait paraître outrecuidante. Fort heureusement, l'Histoire n'a pas décidé de la mettre à l'épreuve des faits.
Mais le 13 novembre 2015 pendant que le sous-marin nucléaire français faisait des ronds dans l'eau pour protéger les citoyens d'un ennemi imaginaire, de vrais terroristes mitraillaient des innocents en plein Paris faisant 130 morts et plusieurs centaines de blessés. L'attaque n'a pas été une surprise pour les dirigeants français qui s'attendaient aux représailles annoncées pour leur intervention militaire en Irak et en Syrie, bien que celle-ci soit très marginale dans la coalition dirigée par les Etats-Unis, grands responsables du chaos au Moyen-Orient.
Il est révolu le temps où l'armée coloniale rossait les indigènes à moindre coût et sans risquer des représailles sur le sol métropolitain. Il appartient aux dirigeants de prendre en compte l'éclosion d'un monde nouveau et "le plus belliciste des présidents de la Ve République" (Le Monde 19/11/15) devrait longuement mesurer l'intérêt d'envoyer le porte-avions nucléaire français pour participer à la mêlée du chaos irako-syrien alors que les auteurs français des attentats se recrutent sur le sol français parmi de jeunes délinquants égarés dans un délire politico-religieux. Il est vrai que la démonstration de force militaire peut être l'occasion de tester en situation réelle de nouveaux systèmes d'armes (Le Monde 19/11/15) ce qui ne serait sans doute pas pour déplaire au complexe militaro-industriel.
La première mesure du gouvernement a été de décréter l'état d'urgence. Cette limitation provisoire des droits et libertés des citoyens peut être d'autant plus facilement acceptée si elle est appliquée avec tact et intelligence. Mais que le ministère de l'Intérieur en soit réduit à préconiser l'ouverture volontaire des portes lors des perquisitions (Le Monde 28/11/15) plutôt que leur destruction en dit long sur le respect porté aux perquisitionnés pourtant présumés innocents. L'humiliation d'un domicile saccagé injustement et sans justification n'est pas de nature à créer du lien social. Le cumul de petites humiliations peut aussi conduire à de grandes révoltes.
Dans un deuxième temps, pour montrer sans doute que le gouvernement n'était pas sans réagir, le président de la république a convoqué le parlement en Congrès le 16 novembre alors que des familles en étaient toujours à identifier des corps et que des blessés agonisaient dans les hôpitaux. Si la situation n'était pas dramatique, chacun sourirait de voir ces parlementaires largement adeptes de l'absentéisme pour le vote de la loi, soudain tous se précipiter au château de Versailles pour écouter le président de la république leur lire un papier. Tout le monde a bien compris que jouer la comédie, être sur la photo et toucher les indemnités faisaient partie des valeurs républicaines des "représentants".
Si le Congrès avait été réuni pour voter des mesures concrètes, chacun aurait pu admettre son utilité. Mais le président visait seulement à s'adresser à la nation à travers ses représentants, comme au XIXe siècle où l'impossibilité de s'adresser matériellement à tous les citoyens conduisait à réunir la représentation nationale. Mais au XXIe siècle, il suffisait au président de s'adresser à la nation directement et non à ses représentants, les moyens modernes de communication permettant de joindre chaque citoyen notamment à travers les chaînes publiques de radio et télévision dont la survivance archaïque coûte suffisamment cher aux contribuables.
Mais jouer dans l'entre-soi la pièce de théâtre du Congrès avec des gardes habillés comme à l'opérette pour servir de potiches décoratives aux élus était beaucoup moins frustrant pour l'ego des "représentants". Les citoyens aimeraient néanmoins connaître le coût du spectacle et le nombre de policiers mobilisés en faveur des élus alors que l'on ne cesse de dénoncer l'insuffisance des forces de l'ordre pour protéger les citoyens. Déjà en 2013, la Cour des comptes soulignait qu'à l'Elysée, à Matignon ou à l'Assemblée nationale "les missions de la Garde répondent davantage à des objectifs de prestige qu'à des besoins de sécurité" pour un coût annuel d'environ 280 millions d'euros (référé n°65368 sur la Garde républicaine).
Beaucoup plus brillant dans le théâtre que dans la maîtrise du chômage, l'exécutif a de nouveau joué la comédie par une manifestation solennelle d'hommage aux victimes dans la cour des Invalides le 27 novembre après que le président de la république eût invité sans grand succès les citoyens à décorer ce jour fenêtres et balcons du drapeau tricolore. Des deux grandes mises en scène offertes par l'exécutif, les citoyens auront de la peine à discerner la réelle contribution à l'amélioration de leur sécurité présente et future.
Entre ces deux intermèdes du théâtre républicain, le président s'est rendu notamment aux USA et en Russie pour tenter d'obtenir une coalition militaire cohérente contre Daech.
Les USA ont fait l'objet d'une demande de partage de renseignement permettant de connaître précisément les cibles ennemies pouvant faire l'objet des frappes de l'unique porte-avions français qui en toute hypothèse devra rentrer au garage pour révision dans un peu plus d'une centaine de jours. Avoir les avions mais ne pas pouvoir localiser les cibles est effectivement un handicap militaire paralysant.
Et la Russie a fait l'objet d'une demande de contribution militaire ferme et coordonnée ce qui peut paraître plutôt incohérent de la part d'un président qui s'est opposé à la livraison de deux bateaux militaires déjà payés par la partie russe.
Les citoyens ont bien compris que la France n'a besoin ni de gesticulations militaires ni de pièces de théâtre. Ce n'est pas un porte-avions pas plus qu'un sous-marin nucléaire qui empêcheront de jeunes délinquants français de s'égarer dans la barbarie au nom d'une idéologie politico-religieuse délirante sans base géographique précise. Rejeter sur un Etat factice et lointain toute la responsabilité de la dérive criminelle de jeunes Français éduqués en France et vivant en France dénote aussi la quête du pouvoir politique national de fuir ses propres responsabilités.
Elections régionales :
21 millions de citoyens lucides
Le 13 décembre 2015 a eu lieu le deuxième tour des élections régionales dans le cadre d'une réorganisation des régions passées de 22 à 13 en métropole suite à des fusions plus ou moins bien acceptées.
Au deuxième tour, malgré une participation accrue des électeurs par rapport au premier tour, le taux d'abstention est encore de 41% environ (métropole hors Corse) soit à peu près 18 millions d'électeurs qui n'ont pas voulu jouer au jeu infantilisant de la démocratie dite représentative. En y ajoutant les 3 millions de citoyens environ non inscrits sur les listes électorales, ce sont donc 21 millions de citoyens lucides qui ont préféré s'abstenir.
Il s'agissait d'élire des "représentants" au scrutin de liste à deux tours (avec prime majoritaire soit un quart des sièges attribués d'office à la liste arrivée en tête afin de dégager une majorité au sein des assemblées) sur la base de listes régionales fragmentées en sections départementales comportant une alternance régulière d'hommes et de femmes candidats au statut confortable de conseiller régional (environ 2 500 euros mensuels).
La base départementale de ces élections n'est pas sans poser problème dans le cadre de la disparition annoncée à l'horizon 2021 des départements…
Et le nombre de têtes de listes masculines au deuxième tour (sur 34 listes, 27 sont menées par des hommes et 7 par des femmes) interroge longuement sur la quête sincère de parité dans la vie politique. De plus, le désistement pour raisons idéologiques des listes de gauche dans deux régions où des femmes pouvaient se faire élire à la présidence n'a pas favorisé la cause de la parité. Au final, 3 femmes sur 7 ont obtenu suffisamment de voix pour se faire élire à la présidence de la région.
En métropole (hors Corse qui en fonction de son statut particulier ne devrait pas être assimilée à une région), l'assemblée la plus nombreuse comportait 209 sièges (Ile-de-France) pour 11,9 millions d'habitants et l'assemblée la moins nombreuse 77 sièges (Centre-Val-de-Loire) pour 2,6 millions d'habitants. Il y a ainsi un conseiller régional pour 57 000 habitants en Ile-de-France et un conseiller régional pour 34 000 habitants en Centre-Val-de-Loire. Certes, la structure démographique varie d'une région à l'autre (nombre d'étrangers, de mineurs, de non inscrits…). Mais même en rapportant le nombre de sièges à pourvoir au nombre d'inscrits, il y a encore un conseiller pour 33 905 inscrits en Ile-de-France et un conseiller pour 23 604 inscrits en Centre-Val-de-Loire. Ceux d'Ile-de-France sont-ils plus performants ?
Et l'écart entre les voix obtenues par chaque liste et le nombre de sièges qui lui échoit est loin de racheter le système dit de la représentation des citoyens. Par exemple, en Ile-de-France la liste arrivée en tête avec 43,80% des voix obtient 121 sièges sur 209 tandis que la liste arrivée en second avec 42,18% des voix n'obtient que 66 sièges soit un écart de 55 sièges pour seulement 1,62% d'écart de voix. (La présidente de cette région et ses colistiers ne représentent en fait que 23% des inscrits).
Ainsi un conseiller majoritaire est le "représentant" de 13 464 voix tandis qu'un conseiller minoritaire est le "représentant" de 23 774 voix. Le conseiller minoritaire serait-il plus performant que le conseiller majoritaire ?
La fable de la représentation invite à penser que ces distorsions n'ont aucune importance d'autant plus que les non inscrits et les abstentionnistes ne se sentent pas concernés et encore moins représentés. Il apparaît clairement que le système de la démocratie dite représentative n'est qu'une fiction visant à faire remonter le pouvoir du peuple souverain entre les mains d'une minorité qui sitôt élue s'affranchira de promesses électorales très conjoncturelles.
Dans ces conditions, les citoyens devraient exiger une forte dose de démocratie semi-directe qui en matière d'élections régionales se traduirait par la suppression des assemblées régionales, l'élection au suffrage universel direct de l'exécutif des régions assortie d'un droit de révocation des élus par les électeurs et de la mise en place de référendums d'initiative populaire à caractère contraignant dans le cadre de compétences régionales renforcées et clarifiées par la suppression des départements.
A défaut de cette réforme, les élections régionales resteront toujours une mascarade visant à donner aux citoyens l'illusion d'être effectivement représentés tout en nourrissant une caste de prébendiers aussi inutiles pour la démocratie que coûteux pour les contribuables.
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